Le Maroc face à l’affaire Galván
La grâce octroyée au pédophile Galván met à nu les défaillances des institutions du Maroc. Elle y a déclenché une dynamique nouvelle appelée à s’amplifier en symbiose avec les bouleversements que traversent le Maghreb et le Proche Orient.
La nouvelle du pardon royal accordé au prédateur pédophile Daniel Galván, s’est répandue comme une trainée de poudre. Celui-ci avait en effet été condamné à 30 ans de prison pour avoir violé 11 enfants à Kenitra. Il en avait purgé moins deux ans, à la suite de quoi une grâce royale l’a sorti de prison. Cette décision à frappé de stupeur le peuple marocain et envoyé une onde de choc dans tout le pays.
La colère populaire s’est immédiatement manifestée avec une force qui a surpris les pouvoirs publics. Ce qui s’en est suivi est à présent bien connu. Mais personne ne peut, pour l’instant, deviner la suite des évènements. Cependant ce qui est sur, c’est que la répression sauvage de la première manifestation devant le Parlement n’a fait qu’aggraver la situation et augmenter le sentiment de révolte. C’est ainsi, qu’au lieu de céder à la répression, le mouvement s’est propagé pour réunir, aux coté des parents des victimes, des associations civiques et de larges secteurs du peuple indigné.
La réaction du système politique à ces évènements illustre bien son mode de fonctionnement, qui reste autoritaire « makhzenien », sur le fond, en dépit des quelques reformes parcimonieuses introduites sous la pression du mouvement du 20 Février.
Le gouvernement et le PJD, parti majoritaire, décrit comme islamiste, qui le dirige depuis les dernières élections, restent paralysés. Ils cherchent surtout à dégager leur responsabilité en mettant le malheureux pardon sur le compte des intérêts « supérieurs » de la nation et des bonnes relations avec l’Espagne. Leurs déclarations sont contradictoires et mal ficelées. Quant aux grands partis nationaux, ils brillent par leur mutisme. Et pour finir, notre Parlement agit comme d’habitude, c’est à dire comme s’il était absent. Ainsi tout indique que les principaux acteurs politiques ont retrouvé le reflexe traditionnel : attendre que l’initiative vienne du Palais Royal. Une attente qui montre bien que celui-ci concentre toujours l’essentiel des pouvoirs, malgré les derniers réaménagements de façade.
La procédure de la grâce est défectueuse
Le principe et la pratique du pardon font partie des prérogatives royales reconnues par la Constitution. Ce principe n’est pas en question, que le pardon concerne des citoyens marocains ou étrangers. Dans le cas présent le geste royal de bonne volonté s’inscrit bien dans ce cadre légitime
Dans ce contexte, chaque geste est d’une gravité exceptionnelle. C’est pourquoi le choix des individus graciés, la nature des crimes et des peines, ainsi que toutes les circonstances afférentes doivent être bien examinées au préalable, en suivant les procédures les plus rigoureuses aussi bien morales que juridiques. De ce point de vue la libération de Galván est apparue au Marocains pour ce qu’elle est : une violation impardonnable du droit et de la morale imputable à une procédure fautive.
Et ce n’est pas tout. Car il faut bien voir que cette procédure défectueuse et ses résultats désastreux eux découlent d’un fonctionnement déficient des institutions, de leur caractère inadéquat. Ces déficiences mettent en relief la concentration excessive des pouvoirs aux mains du palais ainsi que ses pratiques opaques quand il s’agit de gouverner. Ces maux sont maintenant clairs pour l’ensemble du peuple et cela explique la force de sa réaction et ses sentiments d’injustice qui vont continuer à s’exprimer.
Dans ce mouvement de colère, c’est bien l’énergie et le legs du 20 Février qui sont à l’œuvre. Mais il ne faut pas s’y tromper, la dynamique nouvelle dépasse les cercles qui se sont mobilisés avec le 20 Février. Elle est sans doute appelée à s’amplifier, en symbiose avec les bouleversements que connaît la région du Maghreb et du Proche Orient. Une scène politique nouvelle est en train d’émerger. Son développement rend de plus en plus caduques les pratiques de la scène traditionnelle dont les protagonistes étaient la monarchie et les partis. Cet ensemble paraît désormais incapable de répondre aux aspirations fortes des nouvelles générations.
Le fonctionnement de la grâce met en relief la concentration excessive de pouvoirs aux mains du palais
Ce qui caractérise aujourd’hui ce conglomérat c’est qu’il est sur la défensive. D’ou le recours à la violence contre les manifestations pacifiques dont la légitimité est pourtant reconnue par la Constitution. L’autre tendance consiste à réduire les aménagements parcimonieux des prérogatives royales consentis lors de l’élaboration de la Constitution. Ainsi en est-il de la fameuse sacralité du monarque. A défaut de l’abroger autrement qu’en parole elle a naturellement glissé vers la divinité. Comme on le voit après ce pardon royal, le mutisme et la prudence extrême des protagonistes montrent qu’on est plutôt passé de la sacralité du roi à sa divinisation. Personne n’a donc osé s’avancer. Personne ne s’est risqué à intervenir pour aider le souverain à s’informer correctement : ni quelque conseiller honnête et compétent (s’il s’en trouve), ni le gouvernement, ni le Parlement, ni les administrations n’ont pu jouer leur rôle d’intermédiation. Ceci sans parler de la presse aux ordres laquelle n’a pas manqué d’étaler ses flagorneries quand elle ne jugule pas les voix discordantes.
De sorte que les rouages qui semblent protéger le roi ont dans les faits plutôt abouti à l’isoler et à l’exposer dangereusement. Si bien qu’une liste et un geste de pardon qui auraient dû le grandir lui ont, au contraire, porté un préjudice qui laissera des traces durables. Sur ce point, il faut incriminer les manipulations de l’entourage royal. Au lieu de jouer auprès de lui le rôle de fusible, c’est au contraire ses manipulations qui transforment en fusible la fonction royale elle-même. Les révélations de la presse sur les tractations qui ont eu lieu pour établir la liste des prisonniers espagnols à gracier identifient clairement les responsables de ce forfait, et jettent la lumière sur leurs méthodes. Si les faits se confirment, le souverain devra bien se résoudre à se séparer de son plus proche conseiller et vizir des temps modernes coupable de forfaits aussi graves.
A propos de responsabilité certaines clarifications s’imposent. Les auteurs de la liste des prisonniers espagnols à gracier devront articuler la culpabilité et la responsabilité de leur action selon une procédure publique.
Les rouages qui semblent protéger le roi ont plutôt abouti à l’isoler et à l’exposer dangereusement
Ceci n’altère nullement la responsabilité du roi. Car, comme tout chef, un roi se doit d’assumer les conséquences de l’action de ses subalternes. Cette prise de responsabilité, qui est à distinguer de la culpabilité, devra sans doute être assumée pour répondre aux sentiments du peuple. Au regard de cette nécessite, la manipulation des déclarations émanant du cabinet royal et la sanction d’un haut responsable de l’administration pénitentiaire ne suffisent guère. Au contraire, elles risquent de laisser la blessure ouverte au lieu de la fermer.
Surtout les mesures prises révèlent une fois de plus les limites d’un système habitué à lâcher un peu de lest pour donner le change. La nouvelle donne, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, impose la nécessité d’une réforme d’ensemble de la monarchie comme des autres institutions de gouvernement. Cela passe par l’installation de contre-pouvoirs institutionnalisés, démocratiquement élus : cela passe aussi par la réorganisation des services du Palais et de ses prérogatives dans le cadre de la transparence ; cela passe, enfin, par l’attribution de pouvoirs réels de contrôle et de supervision à un Parlement digne de ce nom.
Une telle réforme devra mettre fin a l’asymétrie politique flagrante qui entache la cohabitation entre le gouvernement et le cabinet de la Maison Royale. Asymétrie dont le PJD fait les frais actuellement. Asymétrie dont le fonctionnement aboutit aux prises de décisions unilatérales qui engagent le peuple en son absence.
L’affaire Galván n’est que la dernière d’une série. On peut citer, entre autres, les grâces indues accordées à d’autres criminels, les honneurs octroyées à un vice-président de l’AIPAC [lobby pro israélien aux États-Unis], ainsi que la conduite illégale et immorale de l’appareil sécuritaire dans « la guerre contre le terrorisme ». Toutes ces décisions montrent que nous courbons l’échine devant des intérêts étrangers au nom d’une conception erronée de l’intérêt national. Cela met à nu nos défaillances criantes et montre que nous restons prisonniers de structures institutionnelles dépassées. Il est à prévoir que les mouvements de colère du peuple marocain seront plus forts et décisifs à l’encontre de ce système de faveurs qui porte atteinte à son intégrité, et fait bon marche de son honneur dans des transactions internationales. Elles l’humilient et le souillent.
Hicham Ben Abdallah el Alaoui est chercheur à l’Université de Stanford et cousin-germain du Roi du Maroc
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